Dans cet ouvrage de 1999 commandé à Edgar Morin par l’Unesco, l’auteur part du constat que depuis l’ère de l’industrialisation, le fonctionnement de l’industrie et de l’économie et en conséquence l’enseignement qui y prépare a été décortiqué, décomposée, déstructurée, en reflet du taylorisme des années 30, en petits éléments de savoirs et de savoir-faire, aussi en vue d’une évaluation permanente à la recherche d’une amélioration, souvent incertaine, d’une qualité difficile à définir.
Avec la progression fulgurante des technologies, on va arriver à un stade de développement où les "machines" et les techniques qui y sont associés ne se soucient plus des préoccupations de l'homme. D'ailleurs l'Internet des objets est une illustration parfaite de la façon dont les objets se sont autonomisés, a vivre leur propre vie et nous imposer leurs conclusions. Mon "activity tracker" m'avertit si je risque de ne pas faire mes 10.000 pas quotidiens, mais ne sait pas dans quelle a été ma journée, quel est mon état d'esprit, comment je me sens. Pour l'instant c'est encore moi qui peut décider, mais imaginons une seule fois, mon tracker lié au service personnel de mon entreprise ou à mon assureur.
Edgar Morin préconise par conséquent développer chez l’élève les facultés de compréhension d’autrui. L’enseignement ne devrait plus se borner à transmettre des savoirs prédéfinis, mais plutôt transmettre des méthodes, des stratégies de construction de savoirs ce que Morin appelle « le mode de production des savoirs », ou encore la « connaissance de la connaissance ».
Morin ne dit pas dans ce livre quels sont les matières ou disciplines à enseigner, mis il précise sept problèmes fondamentaux qui à son avis demeurent totalement ignorés ou oubliés.
Le texte est en ligne, je fais ci-dessous le lien direct avec les différents chapitres et j’en cite des extraits en guise d’amues-bouche, à vous de finir le plat !
1) Les cécités de la connaissance : l’erreur et l’illusion.
L’éducation doit montrer qu’il n’est pas de connaissance qui ne soit, à quelque degré que ce soit, menacée par l’erreur et par l’illusion. La théorie de l’information montre qu’il y a risque d’erreur sous l’effet de perturbations aléatoires ou bruits (noise), dans toute transmission d’information, toute communication de message.
L’éducation doit donc se vouer à la détection des sources d’erreurs, d’illusions et d’aveuglements.
2) Les principes d’une connaissance pertinente.
C’est le problème universel pour tout citoyen du nouveau millénaire : comment acquérir l’accès aux informations sur le monde et comment acquérir la possibilité de les articuler et de les organiser ?Comment percevoir et concevoir le Contexte, le Global (la relation tout/parties), le Multidimensionnel, le Complexe ?
Pour articuler et organiser les connaissances, et par là reconnaître et connaître les problèmes du monde, il faut une réforme de pensée. Or, cette réforme est paradigmatique et non pas programmatique : c’est la question fondamentale pour l’éducation, car elle concerne notre aptitude à organiser la connaissance.
3) Enseigner la condition humaine.
L’éducation du futur devra être un enseignement premier et universel portant sur la condition humaine. Nous sommes en l’ère planétaire ; une aventure commune emporte les humains où qu’ils soient. Ceux-ci doivent se reconnaître dans leur humanité commune et en même temps reconnaître la diversité culturelle inhérente à tout ce qui est humain.
D’où la nécessité, pour l’éducation du futur, d’un grand remembrement des connaissances issues des sciences naturelles afin de situer la condition humaine dans le monde, de celles issues des sciences humaines pour éclairer les multidimensionnalités et complexités humaines, et la nécessité d’y intégrer l’apport inestimable des humanités, non seulement philosophie et histoire, mais aussi littérature, poésie, arts…
4) Enseigner l’identité terrienne.
C’est la complexité (la boucle productive/destructive des actions mutuelles des parties sur le tout et du tout sur les parties) qui fait problème. Il nous faut, dès lors, concevoir l’insoutenable complexité du monde dans le sens où il faut considérer à la fois l’unité et la diversité du processus planétaire, ses complémentarités en même temps que ses antagonismes.
La planète n'est pas un système global, mais un tourbillon en mouvement, dépourvu de centre organisateur.
La fin du XXe siècle a été propice, pourtant, pour comprendre l’incertitude irrémédiable de l’histoire humaine.
Il y a effectivement deux viatiques pour affronter l’incertitude de l’action. Le premier est la pleine conscience du pari que comporte la décision, le second le recours à la stratégie.
La stratégie doit prévaloir sur le programme. Le programme établit une séquence d’actions qui doivent être exécutées sans variation dans un environnement stable, mais, dès qu’il y a modification des conditions extérieures, le programme est bloqué. La stratégie, par contre, élabore un scénario d'action en examinant les certitudes et incertitudes de la situation, les probabilités, les improbabilités. Le scénario peut et doit être modifié selon les informations recueillies, les hasards, contretemps ou bonnes fortunes rencontrés en cours de route. Nous pouvons, au sein de nos stratégies, utiliser de courtes séquences programmées, mais, pour tout ce qui s’effectue dans un environnement instable et incertain, la stratégie s’impose. Elle doit tantôt privilégier la prudence, tantôt l'audace et, si possible, les deux à la fois.
Les cultures doivent apprendre les unes des autres, et l’orgueilleuse culture occidentale, qui s’est posée en culture enseignante, doit devenir aussi une culture apprenante. Comprendre, c’est aussi, sans cesse, apprendre et ré-apprendre.
La compréhension est à la fois moyen et fin de la communication humaine. La planète nécessite dans tous les sens des compréhensions mutuelles. Etant donné l’importance de l’éducation à la compréhension, à tous les niveaux éducatifs et à tous les âges, le développement de la compréhension nécessite une réforme planétaire des mentalités ; telle doit être l’œuvre pour l’éducation du futur.
La conception complexe du genre humain comporte la triade individu øsociété øespèce. Les individus sont plus que les produits du processus reproducteur de l’espèce humaine, mais ce même processus est produit par des individus à chaque génération. Les interactions entre individus produisent la société et celle-ci rétroagit sur les individus.
En résumé, Edgar Morin, nous dit d’assumer la mission anthropologique du millénaire :
- Oeuvrer pour l’humanisation de l’humanité ;
- Effectuer le double pilotage de la planète : obéir à la vie, guider la vie ;
- Accomplir l’unité planétaire dans la diversité ;
- Respecter en autrui à la fois la différence d’avec soi et l’identité avec soi ;
- Développer l’éthique de la solidarité ;
- Développer l’éthique de la compréhension ;
- Enseigner l’développement de l’anthropo-éthique du genre humain.
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